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Entretien de Dr. Cherifa BENSADEK, |
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Quelle stratégie nationale pour le développement de l'écotourisme, notamment au sein des territoires d'exception tels les Parcs Culturels de l’Ahaggar et du Tassili n’Ajjer ? Une préoccupation prise en compte actuellement par le programme intitulé "Projet des Parcs Culturels Algériens" (PPCA), exécuté par le ministère de la Culture et mis en œuvre conjointement avec le PNUD, dans le cadre de la coopération internationale entre l’Algérie et le Fonds Mondial pour l’Environnement (FEM). L'objectif de ce projet national étant la "Conservation de la biodiversité d’intérêt mondial et utilisation durable des services éco systémiques dans les parcs culturels en Algérie". Pour en savoir plus, nous avons interviewé Madame Cherifa BENSADEK, Maître de conférences à l’ENST et expert international en hôtellerie et tourisme, sur la situation de l’écotourisme en Algérie et ses perspectives de développement pour rompre définitivement avec la pratique du tourisme de masse dans les espaces préservés.
Tourisme Magazine : Pour le citoyen lambda, le concept d’écotourisme n’est pas très bien compris car on l’assimile à d’autres type de tourisme, à l’image du tourisme vert ou encore tourisme solidaire, quelle est la définition exacte de ce vocable ?
Cherifa BENSADEK : Tenter d'établir une interprétation précise du phénomène de l'écotourisme, reste un exercice délicat. Certains chercheurs notent que "l'écotourisme est un type de tourisme dont la définition est à géométrie variable". Cependant, au fil des avancées, l'idée globale exprime une forme de voyage responsable dans des espaces dotés d'attraits naturels et culturels, participant à la préservation de l’environnement et au bien-être des populations locales.
Cette approche généraliste est à l'origine de nombreuses confusions, car chaque intervenant possède sa perception de la pratique de l'écotourisme. D'où la difficulté d'éviter quelques ambiguïtés de terminologie évoquant sans distinction par exemple, le "tourisme vert", bien que cette expression, même si elle fait référence aux valeurs de nature et de paysage, désignerait plus exactement la fréquentation des espaces ruraux, hors milieu urbain et donc, qui correspond au tourisme rural.
De ce fait, l'absence de vision commune du concept, favorise inévitablement les amalgames au risque de tomber, parfois, dans l'éco-marketing politique et commercial de circonstance.
Alors, même si le vocable a subi bien des évolutions depuis 1983, avec les travaux pionniers de son inventeur Héctor Ceballos-Lascuráin et les nombreuses approches du système des Nations-Unies, par le biais de l'OMT et autres organisations telle l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature "UICN"…, et à défaut d'un consensus définissant de façon formelle la notion de l'écotourisme, la communauté scientifique, s'accorde sur certaines conditions primordiales, notamment, une pratique en petit groupe, au sein de zones naturelles non polluées et intactes ou peu perturbées par l'homme, l'indissociabilité du binôme nature-culture comme attrait touristique, l'interdiction du prélèvement faunistique et surtout la composante pédagogique obligatoirement incluse lors des séjours avec génération de nouvelles expériences.
Tourisme Magazine : En votre qualité d’experte dans le domaine, comment peut-on procéder à l’exploitation des espaces réservés à ce genre de tourisme d’une manière raisonnée, sans compromettre les écosystèmes de ces régions, connus pour leur fragilité ?
Cherifa BENSADEK : Il n'y a pas vraiment de modèle standard d'exploitation des sites à vocation écotouristique, car chaque territoire est caractérisé par ses spécificités et ses vulnérabilités. Néanmoins, la prescription liée au respect de la "capacité de charge" touristique, qui est d'ailleurs propre à chaque espace, est une approche indispensable pour veiller en permanence au souci de gestion des flux de visiteurs.
Aujourd'hui certaines destinations emblématiques tel le sanctuaire des Incas au Mont Machu-Picchu (Pérou) et autres fabuleux sites (Costa-Rica, îles Galápagos…) sont menacés de dégradation irréversible, justement victimes de leur succès écotouristique.
Dans ce contexte, il est plus que nécessaire de mener au préalable, une étude d'impact pour sélectionner les indicateurs clés, en fonction de chaque territoire d'accueil, qu'il convient de retenir comme repères pertinents pour les politiques de gestion territoriales. Cela permettra de minorer les effets négatifs, non seulement écologiques mais également sociaux et de ne pas hypothéquer l'avenir des atouts naturels et culturels des régions protégées.
Tourisme Magazine : Qu’en est-il de la stratégie que vous avez développée dans le cadre du Projet des Parcs Culturels Algériens "PPCA" afin que ces derniers deviennent une destination de choix pour les écotouristes notamment dans les régions de Tamanrasset et de Djanet ?
Cherifa BENSADEK : La stratégie fut basée sur une analyse des opportunités et contraintes au développement d'activités écotouristiques au sein du complexe "Tassili-Ahaggar". L'ambition était de concevoir des produits touristiques innovants, hors sentiers battus, dans le but d'offrir, aux visiteurs de ces sites, de renommée mondiale, une expérience unique et authentique.
Après avoir effectué le diagnostic territorial des deux parcs culturels, suivant une démarche participative, nous avons pu identifier quelques initiatives locales de valorisation de diverses ressources agricoles, culturelles et artisanales…, particulièrement les appuis aux porteurs de projet, notamment les jeunes et les femmes.
L'objectif étant de dégager des pistes d’actions structurantes, à même de contribuer à mieux positionner l'écotourisme au sein de ces territoires d'exception, par la création d'activités pérennes, aptes à renforcer durablement les moyens d'existence de leurs habitants.
Actuellement, M. Salah AMOKRANE, Directeur national du PPCA, et son équipe, ont engagé la phase de concrétisation de quelques projets-pilotes sélectionnés lors de l'élaboration de la stratégie d'écodéveloppement, tels le "Patrimoine de Tihoudaine" au Tassili n'Ajjer, les "Villages et jardins" de l'Ahaggar…
Tourisme Magazine : Tout projet intégré inclut évidement le volet du développement socioéconomique des populations locales vivant sur ces territoires, comment faire participer ces dernières dans les activités touristiques prévues dans ce cadre ?
Cherifa BENSADEK : Nul doute que l'implication directe des populations locales est incontournable de nos jours, pour leur permettre de déterminer leur propre développement touristique en se nourrissant de leurs aptitudes et savoir-faire ainsi que de leur imaginaire.
Concrètement, il sera question d'accompagner les communautés autochtones, par des moyens humains et financiers, à la mise en œuvre d'Activités Génératrices de Revenus sur leur territoire, telle la valorisation de leur patrimoine bâti à travers sa requalification en infrastructure d'accueil touristique, la proposition de services liés à la découverte de leurs coutumes culinaires et gastronomie traditionnelle, ou aux techniques ancestrales relatives à l'agroécologie, l'artisanat, etc.
Tourisme Magazine : Le rôle des associations locales est plus qu’important pour la sauvegarde du patrimoine des parcs culturels. D’après vous, comment impliquer davantage ces acteurs dans les projets de développement de l’écotourisme ?
Cherifa BENSADEK : Les associations locales sont de véritables partenaires, mais malheureusement leur multiplicité et leur mode de fonctionnement -toujours en attente de subventions de l'État- complexifie la mission des divers acteurs du tourisme sur le terrain en freinant leurs actions.
Désormais, il faudra revoir le modèle d’affaires des associations et leur mode de fonctionnement, les conviant à la création de réseaux souscrivant à une meilleure complémentarité et synergie dans les efforts.
Il y aurait ainsi matière à entamer une profonde mutation du monde associatif activant dans le domaine du tourisme, de l'écologie, du patrimoine, etc. et l'appréhender de manière renouvelée pour la refonte de son organisation. Il faudra dans ce cas, revoir l’activité d’encadrement du travail collectif, leur professionnalisation pour leur apprendre à tirer parti des ressources à leur disposition.
Tourisme Magazine : Quel est l’apport de la presse dans la promotion de l’écotourisme en Algérie. Pensez-vous qu’il existe une couverture médiatique satisfaisante des événements liés à l’écotourisme ?
Cherifa BENSADEK : En parcourant certains médias nationaux, il est aisé de constater que l'expression "écotourisme" se vulgarise, offrant ainsi une opportunité de frapper les esprits et retenir l’attention de tout Algérien sur son importance. Cependant, on soulignera également que le message journalistique se cantonne souvent dans des registres à visée émotionnelle, voire de marketing par la reprise de discours politique, sans réelle notion éducative pour sa promotion.
Pour ma part, je souhaiterai une meilleure couverture médiatique qui dénonce les nombreuses dérives actuelles des activités pseudo-écotouristiques dans notre pays, à l'instar des scandales environnementaux de ces dernières années à Taghit, à cause de la pratique sauvage des quads sur les dunes, alors qu'un arrêté municipal la réglementant a été promulgué le 20 décembre 2017, sans qu'aucune application ne soit suivie et ce, malgré la mobilisation des associations.
Il m'est difficile d'accepter le sentiment de fatalité qui frappe les citoyens locaux rencontrés à la mi-décembre 2019. Kada alias le "PDG du désert", Abdelaali, Zakaria, Tayeb, Hamza Mokkadem et les membres de l'association écotouristique de Taghit… tous assistent désespérés à la dégradation de nouveaux sites rupestres, jusque-là préservés, mais aujourd'hui plus faciles d'accès à cause des quads. Hélas, le cri de cœur de ces militants qui ont même publié une vidéo intitulée "Taghit t'staghith" "?????? ?????", est resté sans écho dans le désert.
Tourisme Magazine : Avez-vous un message à délivrer à l’endroit des potentiels investisseurs dans l’industrie écotouristique ?
Cherifa BENSADEK : En guise de conclusion, je plaide pour une meilleure intégration architecturale et insertion paysagère des infrastructures dédiées à l’activité touristique.
Malheureusement, nous déplorons aujourd'hui le non-respect du contexte culturel dans lequel est implanté la majorité des projets. Du nord au sud, nous constatons l'usage de matériaux non écologiques (parpaings, dallages de type granito…), une aberration surtout dans les zones arides soumises au climat désertique. En somme, la plupart des investissements touristiques dans notre pays ne sont que des opérations d’urbanisme énergivores, pauvres de sens et fondées sur la banalité et l’imitation.
Maintenant, il faut rompre avec cette déliquescence culturelle reflétée dans nos établissements hôteliers. Il s'agit d'être en accord avec le cadre naturel, en concédant une place importante au végétal ; veiller au souci de la préservation du patrimoine vernaculaire, en choisissant des matériaux sobres, authentiques, en fonction du lieu et de ses spécificités ; avoir le sens de l'esthétique, en se rapprochant des artisans locaux pour l'ameublement et le décor… Voilà la démarche à adopter pour s'approprier de la symbolique valorisant la culture, l’attrait et le renom de nos régions.
In fine, l'investissement touristique devra signifier essentiellement l'interprétation de l'espace. De toute évidence, la seule façon de respecter "l'esprit des lieux" lors de la réalisation d'un plan d'actions est la prise en compte de l'ancien dans la modernité : Trouver dans les ressources déjà existantes, des logiques d'adaptation des nouvelles constructions. Repérer dans l’architecture traditionnelle des indices et éléments identitaires, pouvant lier le projet touristique avec la découverte de la région…
À vrai dire, en Algérie, il existe une réelle difficulté à assimiler les modèles adaptés à notre développement touristique. Aussi, il est temps de définir les conditions d’utilisation rationnelle de l’espace et de ses richesses pour une intégration harmonieuse des équipements dans le paysage dans lequel ils sont édifiés.
Par voie de conséquence, afin de promouvoir une offre d'infrastructures d'accueil dotée d'un cachet typique, mettant à l'honneur notre identité culturelle, il est urgent d'élaborer un Guide-qualité sur "l'intégration architecturale et l'insertion paysagère du bâti touristique" à destination des décideurs, des autorités locales et de tous les acteurs impliqués dans les processus d'octroi des autorisations et autres agréments. Ce document-conseil contribuera à les orienter sur les choix appropriés de gestion de l'espace touristique, c'est-à -dire comprendre les préceptes à appliquer selon les particularités de chaque plan de construction, de manière nuancée, entre la continuité de la tradition et les impératifs de modernité, tout en tirant le meilleur parti des ressources locales disponibles sur nos territoires touristiques....
À l'avenir, le contenu du discours institutionnel devra cesser de privilégier les annonces statistiques sur "le nombre de lits", en s'enthousiasmant de la dimension quantitative du patrimoine immobilier du tourisme.
Désormais, l'enjeu pour une meilleure gouvernance est de s'engager dans une approche qualitative des futurs investissements afin d'endiguer définitivement toute incohérence d'aménagement touristique, à l'origine des mutilations des paysages chargés d'histoire de l'Algérie car, tel que l'affirme notre célèbre agroécologue, Pierre RABHI : "nous entrons dans une ère où, face aux planifications de l'homme, la nature décidera et mettra des limites".
Entretien réalisé par Rabah Karali
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